C’est un vers de Jean-Jacques Goldman, ça date de 1999, ce n’est pas tout jeune, mais l’amitié c’est une histoire de fidélité.
En fait, c’est une phrase qui est devenue une rengaine commune depuis notre voyage en Sicile en 2003. C’est une phrase qui nous a accompagné dans d’autres voyages, c’est une philosophie de vie que j’essaye d’instiller à ceux que je côtoie. C’est une phrase qui nous ressemble. Au moins sur un point. Nous sommes entrés dans la vie adulte sans plan, sans direction, sans but à atteindre, mais avec des valeurs, des envies, des connaissances, tout ce bagage transmis par nos parents et nos professeurs.
Nous avons passé nos années d’université à refaire le monde. Nous nous sommes posés mille questions, nous avons lu, nous avons cherché des réponses, nous avons débattu. Au début, nous avons balbutié puis nos argumentaires sont devenus de plus en plus profonds, les raisonnements de mieux en mieux construits, nous sommes allés de plus en plus loin, de plus en plus en profondeur. Nous avions parlé de tout, pendant trois années, mais nous n’avions jamais parlé de ce que nous ferions de nos vies. Nous ne nous sommes jamais dit que nous devrions être mariés à 25 ans, pères du premier à 27 puis du second à 30, puis propriétaire d’une maison à 35 ans puis chef de service à 40 ans. Personne ne nous avait dit qu’il fallait posséder une Rolex à 50 ans pour avoir réussi sa vie. Nous sommes entrés dans la vie adulte sans plan de carrière. Nous n’avons pas préparé Science-Po pour intégrer l’ENA. Nous n’avons pas fait carrière. Non ! nous avons tracé notre bout de chemin, dans le désir du travail bien fait, dans l’envie de faire avancer les choses, de découvrir, de se former, de progresser, et maintenant, pour Pierre-Loïc, de faire par lui-même.
Nous sommes entrés dans la vie adulte sans plan. Je n’avais pas encore entendu ce discours, au mariage d’une amie, où le père a dit à sa fille carriériste : « il n’y a que la réussite des familles qui compte ». Nous avons mis un peu de temps à trouver chaussure à notre pied, mais bon, nous faisons notre bout de chemin, chacun à sa vitesse.
Mitterrand, se faisait élire député de la Nièvre à 30 ans. Nous, malgré nos très longues discussions politiques d’antan, nous ne sommes que des citoyens lambda. A notre âge, 35 ans, Bernard Arnault rachetait Dior et le Bon Marché. A 40 ans, il devenait président de LVMH. Nous n’y serons pas !
Il n’y a que les routes qui sont belles. Peu importe où elles nous mènent, continue la chanson. En effet, peu importe où nous en sommes aujourd’hui sur le chemin de la réussite. Mais j’aime me retourner de temps en temps sur notre chemin. Et je peux me dire que nous avons avancé. Nous avons vécu. De belles choses et de moins belles. De beaux voyages. Et de moins beaux. Nous avons aimé et connu la solitude. Nous avons travaillé, toujours, c’est une chance bien sûr, une nécessité aussi, mais surtout une envie. Je crois que tous les deux, quand nous nous retournons sur ce bout de chemin professionnel, nous le regardons avec une certaine fierté. Depuis un an j’accompagne Pierre-Loïc dans sa formidable aventure des Lumières Numériques et ça aussi c’est un beau chemin. Dans les 18 pages de présentation qu’il a écrites sur cette société, le mot « qualité » et ses dérivés apparaissent 23 fois, le mot « orfèvre » 5 fois, le mot « artisan » trois fois et on y lit cette formidable phrase venant du fils d’un menuisier : « l’outil est rien sans l’artisan ».
Vous voyez, nous sommes soucieux de la qualité du chemin, beaucoup plus que de son but.
Il n’y a que les routes qui sont belles. Parce qu’elles sont chemins, parce qu’elles nous mettent en mouvement. Pierre-Loïc m’a touché il n’y a pas très longtemps de ça. Nous dînions à Paris et il a énoncé cet aphorisme :
« On se construit à 20 ans en parlant et à 30 ans en agissant ». Je lui ai répondu que c’était très beau et que j’étais tout à fait d’accord avec lui. Il m’a répondu que c’est moi qui lui avait inspiré cette pensée. Sans flatterie aucune, je peux te retourner le compliment, avec mes mots : « à 20 ans nous refaisions le monde, aujourd’hui nous faisons le monde » : tu crées ton entreprise, tu crées ton emploi, tu crées des emplois, tu choisis la façon dont tu veux travailler. Tu fondes un foyer, tu choisis l’engagement, tu choisis de perpétuer la vie. Tu souhaites à ton tour transmettre tes valeurs. A ta mesure, tu construis le monde.
C’était en avril 2003. C’était quelque part en Italie. Il a dû demander quelque chose comme : « et maintenant, on va où ? » et j’ai dû répondre : « roule ! il n’y a que les routes qui sont belles. » C’était la première fois que je le disais, mais combien de fois depuis je l’ai répété. Et on a découvert, au hasard, pas mille, pas cent, mais quand même quelques beaux trésors qui ont fait de ces 17 années d’amitiés un très beau chemin. Compagnons, compagnes, venez, il n’y a que les routes qui sont belles.
Pour Pierre-Loïc, le 6 octobre 2012