Ô capitaine, mon capitaine

Nous ne sommes plus nombreux à t’appeler ainsi. Pourtant jamais dans mon cœur ce sentiment fait de respect, d’admiration et de franche amitié n’a faibli.

On dit : « un ami c’est quelqu’un à côté de qui on peut passer une journée entière sans parler et pourtant se dire que c’était une belle journée ». C’est faux, un ami c’est quelqu’un avec qui on peut passer une journée entière et toujours avoir quelque chose à lui dire. Et s’il le faut en puisant au plus profond de notre intimité. Et nos vélos savent combien on a discuté et les tables de billard savent sur combien de problèmes nous nous sommes penchés et enflammés et les tables de l’Indiana Club savent combien nous nous sommes épanchés sur ces filles qui nous ont donné tant de plaisirs et causé tant de tourments.

On dit : « un ami c’est quelqu’un avec qui on peut pédaler toute la journée et ne même pas avoir mal aux jambes dans les montées ». C’est faux. Et nos vélos savent combien nous avons eu mal aux jambes. Et les chansons s’arrêtaient quand la route s’élevait.

Tu avais dit une fois, pour faire un bon mot, parce que le film t’avais plu : « l’appartement à Rueil, c’est une auberge espagnole. On y trouve ce qu’on y apporte ». Je t’avais repris. Ce n’était pas vrai, chez toi on y trouvait Amine à la guitare et toi au chant, le sourire plein de soleil de Mathieu et toujours une assiette qui nous y faisait rester plus longtemps que prévu.

Tes amis savent tout ce qu’on trouvait chez toi, je pense en particulier à Cédric, un des ‘réguliers’, même si c’est vrai qu’à un moment on venait aussi pour la sœur d’Amine mais ça c’est une autre histoire, oui, on y trouvait toute l’énergie et toute la part de toi que tu avais mise dans cet appartement.

Là où tu vas, j’espère qu’il y a des vélos, tout plein de vélos de toutes sortes et qui ne crèvent pas et qui ne déraillent pas, que des descentes, jamais de montées et pourtant des montagnes, des sous-bois, des forêts de hêtres, du thym et de quoi faire une persillade, des pâtes fraîches et des coquilles Saint-Jacques, un village en haut d’une route avec une boulangerie, des croissants aux amandes et cette boulangère pour laquelle nous allions, à trois, acheter le pain, j’espère qu’il y aura des guitares et Mark Knopfler, des ordinateurs sans Windows, enfin des ordinateurs qui marchent, as-tu jamais eu un ordinateur qui marche ? des voitures, 3 partenaires, un jeu de 32 cartes et même pas besoin de jouer la vaisselle, des montagnes et des pistes de ski, des boomerangs, des ateliers de physique mais pas d’équipe à diriger et de projets à rendre, j’espère qu’il y aura des billards, des fruits et des légumes bio, du raisin, un atelier de mécanique pour bricoler avec ton père que tu admirais tant, les petits plats de ta maman que tu aimais tant et des corps de femmes qui ressemblent aux corps des femmes que tu as aimées et qui t’ont rendu heureux.

Lu en l'église de Corbas, le 27 août 2005