D1...LES
NUITS DE VIATKA
"Ma
liberté est liberté du néant,
à
la condition qu'on comprenne
que
ce néant c'est la conscience pure"
Jean-Paul
Sartre, Les carnets d'un drôle de guerre
Notre
cerveau est composé de centaines de milliards de neurones et chacune transmet
des informations à quelques milliers d'autres grâce aux axones (câbles téléphoniques
du cerveau) et leur terminaison, les synapses (émetteurs). Le messager est un
potentiel d'action, dépolarisation de l'axone d'une valeur de cent millivolt.
Arrivé au niveau de la synapse il provoque la libération de
neurotransmetteurs, captés par le neurone cible. Et suivant la quantité de
neurotransmetteurs reçu dans le temps et dans l'espace (un neurone va recevoir
des signaux de milliers d'autres neurones, parfois simultanément) notre neurone
en fera en quelque sorte la somme et transmettra ou ne transmettra un potentiel
d'action à tous les neurones auquel il est relié.
Lors,
par exemple, de la perception d'un objet, la lumière qu'il réfléchit vient
stimuler les récepteurs de la rétine, qui émettent alors des potentiels
d'action. Ce message brut est envoyé par les axones dans la partie postérieure
du lobe occipital (arrière du cerveau) qui, tel une gare de triage avec tous
ces aiguillages, redistribue les potentiels d'action dans de très nombreuses
zones spécialisées qui traitent le message, chacune, simultanément, sous un
angle différent. L'une étudie la forme, l'autre la couleur et ainsi de suite.
Ce traitement en "parallèle" du message, contrairement à
l'ordinateur qui travaille séquentiellement, permet une formidable vitesse d'exécution
pour les taches complexes, vitesse jusque là jamais égalée. Puis tous ces
bouts de messages sont éclairés à la lumière de notre mémoire, chacun
prenant alors une connotation. Et finalement, ils se regroupent tous dans le
lobe frontal, siège de nôtre pensée, donnant à l'image un sens compréhensible
pour nous.
Regardons
une table. Le cerveau traite l'image, les pieds, la couleur, la matière... A
ces éléments la mémoire associe le mot "table", puis tous ce qui
s'y rapproche du plus près au plus loin, du souvenir le plus récent au
souvenir le plus marquant. Telle une réaction en chaîne, quatre pieds plus un
plateau permettent d'envoyer des potentiels d'actions vers la zone où est rangée
le mot "table", puis parce que des liaisons ont été construites
auparavant (surtout lors de l'enfance mais aussi ensuite à tout instant de
notre vie), le neurone traitant de la table, si vous me permettez ce raccourci,
activera le neurone (ou la zone de neurones) traitant du dîner, qui activera le
neurone associé aux souvenir de convives et ainsi de suite, l'ensemble
remontant jusqu'au cortex préfontal, qui est l'organisateur de ces
associations.
Maintenant,
sans regarder un objet, pensons à lui. Nous "fabriquons" alors dans
notre cerveau les mêmes pensées, les mêmes images que si nous avions vu cet
objet. Et c'est normal, car notre cerveau aura effectué les mêmes
associations, de neurones en neurones. Et ce sont de ces associations de ces
différents souvenirs que naît la signification, que les choses, les mots, les
concepts prennent un sens.
Parfois,
lorsque l'on rêvasse ou que l'on réfléchisse sur la réflexivité de la
conscience, on a l'impression d'être un petit bonhomme assis dans le cerveau
regardant un film. On a l'impression d'entendre ses propres pensées. Et on
pourrait effectivement dire, schématiquement, que le lobe frontal du cerveau
est notre salle de projection. C'est en fait le centre de notre pensée.
Ainsi,
il n'y a pas d'âmes, ni d'Esprit qui flotteraient au dessus de notre cerveau.
Mais il y a des neurones et des potentiels d'action. Nos réflexions, nos rêveries,
notre conscience ne sont qu'activités neuronales. Rien de surnaturel, juste une
activité électrique, détectée directement par des électrodes ou par
imagerie médicale, les zone du cerveau qui travaillent s'illuminant sur l'écran
des ordinateurs.
De
toute façons comment en serait-il autrement
? Supposons que nos pensées naissent dans un esprit, une âme immatérielle et
en dehors du corps humain. Mais comment cet esprit immatériel pourrait-il agir
sur du matériel ? Comment pourrait-il provoquer une dépolarisation de la
membrane d'un neurone, c'est-à-dire pousser des ions sodium et potassium à
travers cette membrane et permettre ainsi à un potentiel d'action de se
propager, et d'aller tout au bout de la chaîne, stimuler un muscle ?
Si
l'âme était le siège des pensées et des émotions, comment expliquer que
certaines personnes après un accident ou une maladie ayant endommagé le
cerveau, ne soient plus capables de penser, perdent la notion de conscience ou même
la mémoire ? L'âme, d'après la théorie, si on peut appeler cela une théorie,
doit être une et indivisible. Elle serait le siège de nos pensées et de nos
émotions. Mais comment l'immatériel serait-il altéré par un accident ?
Que
fait le psychanalyste ? Il retrouve tous les chemins qu'empruntent nos pensées.
Il recherche les étapes intermédiaires qui les façonnent. Nous n'en avons pas
conscience puisque nous ne voyons que le résultat final du travail de création
de pensées. Mais ces étapes intermédiaires agissent comme un philtre, un
aiguillage, un colorant. L'étude du produit fini (gestes, paroles, rêves)
permettent ainsi de révéler l'inconscient.
Puis
lorsque ces pensées devront à nouveau se former, il y aura une étape intermédiaire
supplémentaire: les paroles du psychanalyste. Et elles feront prendre à nos
pensées un tout autre chemin.
A
vous désormais de croire la science et des expériences reproductibles laissant
des petits signaux sur des écrans de contrôle, ou ce qu'on nous raconte depuis
trois millénaires, sans aucune preuve et surtout sans aucune logique.
Poussons
maintenant le raisonnement jusqu'au bout. Notre cerveau est associatif. Il
travail par analogie, par association d'idée. Tout simplement parce que le
parcours d'un message est celui d'une réaction en chaîne, un neurone en
interpelle un autre qui en stimule un troisième. Pensez à un mot ou à un
concept et laissez divaguer votre esprit. Et regardez jusqu'où cela vous mène.
Ces associations d'idées sont le fruit de notre éducation, de notre
conditionnement, de toute notre vie. On pourrait presque dire qu'à la naissance
notre cerveau est vierge (pas tout à fait car il a quand même neuf mois de vécu)
et chaque fois que nous apprenons quelque chose, de nouvelles connections se
forment, et lorsque nous les revoyons, elles se renforcent.
Mais
ensuite, nous sommes prisonniers de ces connections. Tel des routes, nos pensées
les emprunterons à chaque fois qu'il en sera nécessaire. Nos pensées s'enchaînent
les unes après les autres sans que nous puissions contrôler ces enchaînements.
Le potentiel d'action va là où il doit aller et nous ne pouvons pas infléchir
sa course. (D'ailleurs avez-vous déjà essayer de commander à vos neurones
afin qu'il n'émettent pas ce fameux potentiel d'action ?) Quand un neurone reçoit
suffisamment de messages de tous les neurones qui lui sont reliés, alors il émet
mécaniquement un potentiel d'action vers tous les neurones auxquels il est relié.
Nous ne pouvons pas intervenir sur ces actions purement biologique. Ni imposer
une connexion entre deux neurones, ni commander aux potentiels d'actions. Et
comme nos pensées ne sont que le résultat de ces mécanismes bio-électriques,
nous devons en conclure que nous ne sommes pas maître de nos pensées.
Elles
se conduisent toutes seules là où elles ont été conditionnées pour aller.
Nous
sommes incapables de mener nos pensées là où nous le voulons mais seulement là
où elles ont été programmées pour aller.
Un
exemple est lorsque nous pensons à quelque chose, que nous sommes préoccupés
par un problème puis que notre esprit est distrait par un autre événement,
disons la rencontre et la discussion avec une autre personne. Et au milieu de la
conversation surgit une idée géniale à propos de la précédente réflexion.
Celle-ci a fait son chemin toute seule, en dessous de la discussion en cours,
sans que nous nous en rendions compte. C'est d'ailleurs pour cela que nous
appelons ces pensées inconscientes. Cette idée resurgit, devient notre point
de vue, notre ligne de conduite et pourtant vous voyez bien qu'elle a jaillit
malgré nous, que nous ne l'avons ni guidée, ni façonnée. Nous n'y avons pas
réfléchi en toute impartialité. Non, elle a suivit son propre chemin sans
rien demander à personne. Le cerveau est allé chercher au fond de la mémoire
l'expérience déjà vécue, le problème déjà appris. Puis une connexion les
relie à la solution (à condition que la mémoire l'ait enregistrée!) c'est
donc tout naturellement que le cerveau y ait accès et nous fasse crier Euréka.
Nous n'avons pas contrôler cette pensée mais elle "nous" exprime
pleinement. Elle est l'exact reflet de ce que nous sommes, de ce que nous avons
vécu, de ce que nous avons appris. Et aussi de ce que nous avons aimé, ce qui
nous a touché et donc que nous avons retenu.
Ce
mécanisme intérieur du cheminement de la pensée est continuellement influencé
par les événements extérieurs. Transi de froid ou étouffé par la chaleur,
amoureux, triste, énervé ou confiant, les associations ne se font plus de la même
manière. D'ailleurs il suffit d'observer nos différences de réflexions
lorsque nous réagissons dans l'événement. Et souvent après, nous regrettons
ces mots prononcés trop vites, nous avons du mal à nous reconnaître dans des
actions précipitées qui ne nous ressemblent pas. Tout simplement parce que
nous ne sommes pas maître du travail de nos neurones.
Nos
idées, nos réflexions ne sont pas figées pour l'éternité. Elles se
modifient ou se renforcent sans cesse, selon nos lectures, nos expériences, le
milieu dans lequel nous vivons, la qualité de nos amis, les événements
internationaux... Ainsi avec le temps, nous évoluons. Soit vers le cynisme,
soit vers la sagesse, ou bien nous redevenons "petits-enfants".
Parfois
nous nous disons, je vais changer. Et nous changeons complètement de vie, de façon
de penser. Mais c'est seulement notre cerveau qui a effectué la somme de toutes
nos aigreurs, nos insatisfactions, de nos rêves d'enfant inassouvis... Toute
cette réaction en chaîne s'est déclenchée dans notre cerveau à la suite
d'un événement extérieur (la mort d'un proche, un licenciement, une guerre,
une magouille politique de trop...) et son processus atteint inexorablement la
fin, c'est-à-dire dans notre cas la décision de changer. Puis cette décision
ira fouiller toute seule dans notre mémoire les cas ressemblant le plus à
celui-ci et les actions que nous apporterons à notre décision de changement
seront fatalement le résultat de ce que nous avons en nous. Nous apporterons
uniquement les solutions que nous avons apprises.
Et
si nous pouvions, juste quelques minutes avant la Grande Décision, placer un
ordinateur extraordinairement puissant (comme on en fera jamais) sur notre
cerveau, qui analyserait tous nos neurones et toutes les connections entre elles,
et qui saurait que tels événements extérieurs se produiront, alors il
pourrait prédire notre réaction.
Il
n'y a pas d'âme, il n'y a pas d'esprit, il n'y a que des neurones reliés entre
eux et leurs connexions dépendent uniquement de ce que nous apprenons tout au
long de notre vie. Et le cheminement des potentiels d'actions dans ces chaînes
de neurones forment nos pensées.
Si
nous pouvions analyser ce qui rentre au début de la chaîne (c'est-à-dire les
signaux envoyés par nos cinq sens) puis l'intégralité des connexions entre
les neurones alors on pourrait prédire la pensée qui en résultera.